Une journée comme les autres { Matthew

La brise fraîche de cette douce après-midi d’hiver glaçait la nuque de l’humaine confortablement assise sur un banc, alors que le soleil rayonnant de cette journée particulièrement ensoleillée lui réchauffait le visage, les mains et tout le corps, excepté sa nuque et son dos, plongé dans l’ombre par l’arbre situé juste derrière elle. C’était un de ces magnifiques chênes centenaires qu’on ne trouvait plus qu’au parc de Glasgow. Bien que concentrer sur sa lecture du journal Heather entendait le chant discret des oiseaux restés une fois l’hiver venu, pour la plupart des pigeons et des moineaux, le tintement mélodieux de l’eau de la fontaine située juste devant elle. De tout l’immense parc, c’était l’endroit qu’elle préférait. Non loin de la fontaine, et protégé partiellement du soleil par le magnifique chêne qu’elle avait toujours admirer. Dire que c’était son banc serait probablement exagéré mais on n’en était guère éloigné. Vêtu d’une robe citadine mais assez chaud pour cette journée, elle portait par-dessus son manteau d’hiver, qui avait la particularité d’être doublée. .

De tout autre jour, c’était le dimanche que Heather préférait lorsqu’elle pouvait sortir au Parc, s’asseoir sur son banc favoris, et parcourir son journal. Elle lui arrivait de prendre également un livre. Son intérêt pour des auteurs tels que Shakespeare qu’elle raffolait, ou encore Balzac bien qu’il soit français, pouvait paraître très étrange et c’est pour cela qu’elle avait tendance à le masquer. De toute manière, Heather n’avait jamais eu envie de partager ce goût là. De même qu’elle aimait la musique & les voyages.

Les minutes passaient et disparaissaient. Elles s'envolaient dans ce haut ciel, modifiant la couleur de celui-ci. Plus le temps s'évaporait, plus il faisait sombre. Toute cette noirceur n'effrayait pas la petite Wind. Elle n'avait pas peur, elle aimait croire qu'elle n'avait peur de rien. Ce qui était faux, comme tout le monde, des craintes l'envahissaient chaque jour. La jeune femme avait retiré ses chaussures. Elles étaient posées à sa gauche. Il faisait froid, il faisait toujours froid. Du moins, selon elle. La demoiselle avait l'habitude de température bien plus haute que celle-ci, elle ne se dérangeait donc pas pour si peu. Heather Wind s'était calmée. Elle plaça ses longues mèches brunes ondulées derrière ses petites oreilles. Le regard perdu au loin, sa conscience voyageait à travers ce lieu. Traversant toutes ses pensées. Jamais Heather ne l'avouerait, mais venir ici lui avait fait du bien. Cela l'avait soulagé. Elle était humaine après tout. Rien d'autre qu'une humaine.

Sa guitare classique autour des épaules, Matthew chantait différents titres bien connus de la population tout en s’accompagnant de quelques accords. Un sourire aux lèvres, il ne semblait pas faire attention au froid presque transissant qui lui glaçait les doigts et séchaient sa gorge. Les journées d’hiver n’étaient pas vraiment différentes en Ecosse qu’au Pays de Galles, d’où venait le musicien. Un vent glacial, un ciel grisâtre, des pluies torrentielles et un froid mordant qui gerçait les lèvres tout comme la peau étaient le quotidien des Britanniques et des Irlandais à cette période de l’année. Parfois cependant, comme en ce jour, de fébriles rayons de lumière perçaient à travers les nuages et un soleil pâle et pourtant aveuglant s’élevait dans le ciel pour chasser les ténèbres des rues de Glasgow. Ces jours là, rien ne pourrait retenir Matt enfermé dans son appartement ou quelques salles de bar de la rue piétonne. Sa guitare en bandoulière, il parcourait les rues dans la recherche d’un lieu fréquenté par les touristes et les passants puis s’y installait et participait au folklore local en interprétant quelques morceaux.

Aujourd’hui, il avait porté son choix sur une des artères principales du parc. Toujours étonnement pressés, quelques groupes de personnes, étudiants ou travailleurs, passaient leur chemin non sans ralentir quelques instants pour écouter sa musique, avant d’accélérer à nouveau le pas. Ces gens, Matthew les plaignait. A quoi servait-il d’être vivant si on ne pouvait pas profiter des quelques moments de grâce que la vie nous apportait, comme un soupçon d’été au beau milieu de l’hiver ou quelques notes de musiques dans un parc magnifique ? Il savait que ces travailleurs gagnaient probablement mieux leur vie que lui, qu’ils vivaient dans une belle maison et allaient au restaurant, mais Matthew ne les envierait pour rien au monde. Il avait certes du mal à boucler son loyer et vivait au jour le jour, mais il était heureux, parce que chaque instant où il respirait, il avait conscience de se sentir vivant, et il ressentait. C’était, à son avis, ce qui différenciait les personnes classiques à celle qui avaient une âme artiste ou pour le moins plus aventureuse que la normale. Un rire d’enfant attira son attention et son regard se posa sur deux gamins qui devaient avoir 6 ou 7 ans et s’étaient arrêtés devant lui. Leur adressant un clin d’œil, il se mit à jouer une mélodie plus entraînante et les enfants se mirent à sautiller, reconnaissant la bande son d’un de leurs dessins animés. La vieille dame qui les accompagnait leur remit une pièce et, timidement, la petite fille s’approcha de lui pour jeter la pièce dans son gobelet avant de repartir à quelques pas. Il la remercia d’un grand sourire qui fit se cacher la gamine derrière sa grand-mère avant que le petit groupe ne reprenne sa route. A quelques pas de lui, trois adolescentes étaient tranquillement assises sur un banc et lui jetaient des coups d’œil insistants en gloussant, se lançant le pari d’aller l’aborder. Matthew essayait de ne pas trop regarder dans leur direction, autant il savait s’y prendre avec les enfants, autant les adolescentes aux hormones en furie le mettaient particulièrement mal à l’aise.

Le temps passait et le soleil commençait à décliner tandis que le froid mordant commençait à transir les traits du visage de Matthew. Il s’arrêta un instant de jouer et étira son cou ainsi que sa main gauche, crispée après avoir été sollicitée si longtemps pour pincer les cordes sur le manche. Il but une gorgée de sa bouteille de coca puis la remis dans son sac avant d’aller ramasser son gobelet. La journée avait été plutôt fructueuse, comme il put le constater avec satisfaction. Pourtant, il savait que même sans la récompense financière, il continuerait à jouer dans les rues, tout simplement parce que ça le rendait heureux de jouer ainsi et de voir de temps à autres un sourire s’afficher sur les mines d’ordinaires sombres des passants. Les filles du banc d’à côté s’arrêtèrent de parler et le suivirent des yeux alors qu’il s’éloignait mais heureusement aucune d’elle ne sembla se décider à l’interpeller. Evidemment il aimait que sa musique plaise et était ravi que de savoir qu’il avait un certain sex appeal auprès de la gente féminine mais s’il n’avait pas un petit coup dans le nez, il perdait tout ses moyens et était tout bonnement incapable d’engager une discussion. C’est donc soulagé qu’il décida de faire quelques pas dans le parc avant de rentrer vers la ville, de préférence avant la tombée de la nuit – on était jamais trop prudents sachant que son havre de paix était maintenant peuplés de créatures sinistres.

Ses pas le menèrent à la frontière des arbres qui bordaient le parc. C’est alors qu’il repéra Heather, seule et tranquillement assise sur un banc de bois. Il avait fait la connaissance de la jeune femme quelques mois plus tôt alors qu’il donnait un concert dans son université. Elle était venue le voir à la fin, non pas dans le but de s’encanailler avec un musicien comme beaucoup de groupies étudiantes en recherche d’aventure mais bien parce que sa musique l’avait touchée. Il lui avait offert à boire et avaient parlé de musique, mais aussi de voyages. Depuis, il lui apprenait la musique et l’ouvrait à son monde tandis qu’elle lui faisait partager le sien. Elle était terriblement jeune et pourtant infiniment plus intéressante que la majorité des gens. Son âme recelait tout simplement quelque chose de différent et c’était pour cela qu’il l’appréciait autant. Un sourire aux lèvres, il s’approcha discrètement de la jeune femme et vint s’assoir à ses côtés, à distance respectable pour respecter son espace vital. L’un comme l’autre était assez indépendant.

"Je ne suis pas étonné de te voir dehors avec un temps pareil."

Remarqua-t-il de sa voix à la fois basse et légèrement cassée d’où ressortait son fort accent Gallois. Tout en prononçant ses mots, il fit basculer sa guitare sur ses genoux et se mit à gratter quelques cordes à vide sans véritablement s’en rendre compte.

"Tu attends quelqu’un ?"

Se renseigna-t-il, manière polie de demander s’il était de trop. Enfin, la véritable raison de son interrogation était qu’il n’était pas particulièrement rassuré à l’idée de la savoir seule au Crépuscule. Déjà en temps normal il trouvait qu’une jeune fille ne devrait pas se promener seule à la tomber de la nuit, mais de plus, ces histoires de vampire l’avaient rendu légèrement paranoïaque.