Heaven Amber Williamson ( finie)

Il fallut préparer les funérailles, autant physiquement que psychologiquement. Le plus dûr pour la petite Heaven fut de voir sa mère courir, organiser, essayer de garder le sourire alors qu'ell-même ne faisait rien, se réfugiant dans des petits coins calmes de leur demeure, évitant tout contact avec le monde normal. Son père lui manquait déja énormément. Elle ne parvenait même pas à pleurer, et se souvient encore à présent s'être demandé si c'était normal de ne verser aucune larme. Cela voulait-il signifier qu'elle n'aimait pas son père? Evidemment, cela peut paraitre idiot, mais Heaven en souffrit beaucoup. Il fallait dire qu'elle n'y connaissait rien, à la mort. Elle ne se souvient plus exactement à quoi elle pouvait penser ces journées entières, accoudée à la fenêtre, profitant de la solitude et du silence qui régnait à cet étage... Elle se souvient toujours, en revanche, des instants qui précédèrent l'enterrement de son père. Elle se souvient parfaitement s'être maquillée pour la première fois seule, sous le regard minutieux de sa mère, après avoir enfilé une longue et belle robe noire à dentelles. Sa mère, elle, était aussi revêtue d'une longue et magnifique robe noire et avait revêtu un voile qu'elle avait laissé tomber sur son beau mais triste visage. Heaven se souvient aussi que sa mère lui avait pris la main et l'avait serré très fort en la regardant d'un air encourageant mais plein de tristesse. Puis la petite blonde s'était jetée dans les bras de Bryce, la serrant contre sa petite poitrine aussi fort qu'elle le pût. Quelques instants plus tard, toutes les deux débarquaient devant l'église. Le dernier endroit sur terre où elles pourraient voir John Williamson. Il y eût des prières, des condoléances, des paroles de circonstances, des sourire rassurants. Heaven gardait la tête baissée, ne remarquant même pas Esthel et sa mère qui pourtant la regardaient avec force, comme pour la soutenir. En revanche, lorsqu'elle leva un court instant la tête, elle aperçut un jeune garçon qui la fixait. Avec un regard rempli d'émotions. D'encouragements, de tristesse, comme s'il voulait partager cette douleur avec elle, pour l'aider. Eponger ses émotions. Il ne sourit pas. Il ne lui parla pas, il ne s'approcha même pas d'elle. Il devait avoir onze ou douze ans, mais semblait seul, caché dans l'ombre d'un pilier de l'église. Elle ne voyait que ses yeux, le reste de son visage et de son corps cachés dans l'ombre. Heaven tourna la tête vers sa mère environ dix secondes pour lui répondre, mais lorsqu'elle tourna à nouveau la tête vers le pilier, le garçon n'était plus là. Cette apparition la hantera durant des années.



Heaven se remit peu à peu de la mort de son père malgré une zone d'ombre qui envahissait son être tout entier, comme s'il y avait un mystère qu'elle voulait résoudre, comme un vide, une peur du passé, comme si elle avait fait une chose qu'elle n'aurait jamais dû faire. Pourtant, elle savait très bien en quoi résidait ce regret : ce moment volé à sa mère. Elle revoyait toujours les derniers instants de son père, elle ressentait sa main de déserrer. La vie le quitter. Ce sentiment de culpabilité, de ne rien avoir pu faire, d'avoir été si longue à réagir.
Mais il y aura ce garçon qui la hantera toujours. Alors peu de temps après, alors qu'elle doit avoir dix ans, elle trompe la confiance que sa mère lui accorde et passe plusieurs heures de la nuit - le seul réel moment de libre qu'elle avait - dans l'église, à l'attendre. A prier, aussi. A penser à son père. A tous ceux qui la soutenaient, même s'ils n'étaient pas nombreux. A cette douleur qui l'envahissait parfois, à ces tristes souvenirs. Alors elle rentrait en milieu de nuit, évitant les coins de la ville qu'une petite fille comme elle pouvait redouter. Mais étrangement, elle n'avait pas peur. Elle profitait de sa solitude, des nuits d'été dehors, de l'odeur de l'orage qui parfois régnait sur la ville, du bruit des gouttes qui alourdissait encore plus ses robes déja lourdes et faisaient s'emmêler ses longs cheveux d'or. Puis elle rentrait discrètement dans la bâtisse familiale, en évitant de faire le moindre bruit, puis se couchait dans ses draps et regardait le haut plafond de sa chambre avant de se perdre dans ses pensées. Souvent, elle en venait à la conclusion que ce garçon ne sortait que de sa propre imagination, comme un soutien inconscient quelle aurait voulu se donner. Et pourtant, ce regard ... Rempli d'amour, presque. Et pourtant, elle ne le connaissait pas... Elle voulait tellement comprendre, le revoir! Ce garçon avait le don de l'intriguer, d'être comme un aimant. Elle passa des nuits ainsi, à l'attendre, commençant de plus en plus à douter d'elle-même et de ce qu'elle avait vu. Jusqu'au moment où elle entendit, une nuit, la majestueuse porte de l'église claquer. Elle se retourna lentement, et vit apparaitre devant ses yeux le garçon qu'elle avait vu à l'enterrement de son père. Elle se leva, et s'avança lentement vers lui. Elle redoutait chacun de ses pas, comme si elle avait peur qu'à force d'avancer vers lui, il ne recule et ne disparaisse encore de sa vue. Mais finalement, son visage se retrouva à une vingtaine de centimètre du sien. Et elle put enfin détailler son visage. Il a les yeux sombres, très sombres. Le regard ténébreux mais expressifs. Des lèvres fines, des joues un peu carrées et creuses, des cheveux noirs ou bruns foncés. En fait, il ressemble à son père. Et pourtant, il est si différent de lui ... Il la regarda toujours fixement, soutenant le regard de la petite blonde qui essaie de lire en lui comme sil semble le faire avec elle. Mais il n'y parvient pas. Elle ouvrit la bouche pour pose une des nombreuses questions qui lui viennent à l'esprit, mais n'ose pas faire résonner le son de sa voix face à lui. Il l'invite à le suivre d'un signe de tête, et elle obtempère. Ils se retrouvent dehors, dans le silence de la nuit. Ils ne parlent pas. Ils montent dans vraiment y réfléchir sur une petite colline qui surplombe Oxford, et s'assoient sur une pierre, l'un à côté de l'autre. Il tourne la tête, et la regarde à nouveau. Il semble avoir tout compris d'elle. Elle le regarde à son tour, mais ne sait pas quoi dire. Alors elle lui pose doucement et timidement les questions qui lui viennent à l'esprit. Il y répond vaguement. Tout ce qu'elle apprendra, c'est qu'il s'appelle Adam. Il l'invite à parler d'elle, alors elle parle d'elle. Mais ose à peine. Lorsqu'elle dit qu'elle est heureuse, qu'elle parle d'Esthel ou de sa mère, il approuve poliment de la tête mais son regard est tout autre. Il a comprit que la perte de son père ne la touche bien plus qu'elle ne veut le laisser paraître. Quelques minutes avant le lever du soleil - qu'Adam semble avoir calculé à la seconde près - il se leva et Heaven entendit la phrase la plus longue qu'il ne lui aie jamais dite sortir de sa bouche : "Il faudrait que vous y alliez.". Il la vouvoie. Cela lui parait bizarre, car elle a déja l'impression de le connaitre alors qu'elle ne sait rien sur lui, alors entre ce "vous" la déstabilise. Et puis ce brusque départ la surprend aussi. Alors elle reste là, assise un instant, le regard disparaitre au loin, avant de se décider à se lever à son tour, et rentre doucement chez elle en silence. Evidemment, elle ne parlera de lui à personne, elle ne veut pas qu'on la mette en garde, encore et toujours. Elle veut juste ... comprendre ce garçon.
Les nuits suivantes, elle continuera d'aller l'attendre, essayant toujours de passer inaperçut en rentrant ou en sortant de chez elle. Les journées fatiguées, elle les cachera à sa mère, elle riera, fera bonne impression, comme toujours. On le lui a appris, n'est-ce pas ? Alors c'est ce qu'elle fera. Elle le reverra de temps en temps, mais il ne vient pas régulièrement. Leurs discussion seront souvent silencieuses, en fait. Elle arrêtera de parler de sa vie, le regardera, essayant de le percer à jour sans y parvenir, alors que lui semble lire en elle comme dans un livre ouvert.



Les années passèrent. Les saisons s'enchainèrent. Heaven et Esthel devinrent des femmes, se confiant toujours autant l'une à l'autre - ou presque. Heaven sortait toujours la nuit, se demandant à chaque fois si elle verrait Adam ou non, s'il se dévoilerait un peu plus. Plus ils se voyaient, plus il parlait. Leurs conversations se voyaient souvent être silencieuses, pour tout dire. Il la regardait beaucoup, toujours pareil. Avec cette lueur de courage et d'espoir, cette flamme, du genre qui ne s'éteint pas, ce soutien silencieux et pourtant si fort. On aurait dit qu'il lisait à travers elle. Tout ce qu'elle ne disait jamais, toutes ses blessures intérieures, il les voyait, et les soignait même. Il l'intimidait toujours autant qu'au début, et pourtant, il y avait cette sensation de sécurité qui s'était installée. Il la vouvoyait toujours, comme s'il avait peur de la blesser encore plus en la tutoyant. Alors ils restaient là, à regarder autour d'eux, à se regarder, elle essayait de le cerner pendant que lui semblait la scanner de haut en bas, prêt à trouver tout ce qu'elle avait réussi à garder caché durant ces années.
La mère de Heaven commençait à lui chercher un futur époux, histoire de rester dans la lignée, faire perdurer le digne nom des Williamson, mais ne trouva personne, et surtout, ne voulut pas forcer la jeune femme à se marier avec l'imbécile de Edward Clyde qu'elle lui avait trouvé. Esthel et Heaven restaient les deux meilleures amies du monde, obligées tout de même de rester dans la norme de l'époque. Combien de souvenirs ont-elles ensemble ? Impossible de tous les réunir, il faut bien l'avouer. Elles sont passées par tout ensemble. A se choisir des robes, à essayer de marcher avec lorsqu'elle étaient petites, à faire les filles superficielles dans les soirées du beau monde ...

Transformation ;;

Heaven avait vingt-cinq ans. Vingt cinq longues années sinueuses, avec une vie parfois difficile à surmonter. Peu de gens vraiment proches, et encore moins qui ne connaissaient son esprit ombragé par le temps et les écorchures causées par la vie. Bien sur, elle racontait ses déboires à Esthel. Mais n'osait pas parler de ses sombres démons qui la hantaient encore. Une quinzaine d'années après la mort de son père, elle sentait encore si souvent sa main dans la sienne ! Cette perte de force si soudaine qu'elle avait ressenti chez cet homme ... La perte de la vie ... Le regard vide de sa mère, puis ses cris désespérés. L'impression qu'elle avait été là à la place de sa mère ... Ce déchirement en plein coeur qu'elle avait reçu ... Parfois, tout cela devenait bien trop lourd pour ses petites épaules ... Une nuit, elle n'alla pas à l'église. Adam venait toujours aussi aléatoirement et rarement, alors elle traça directement sur la petite colline où ils avaient l'habitude d'aller. Elle regarda Oxford, écouta le silence de la nuit. Puis sortit cette lame tranchante et après avoir essuyé surement la seule larme qui coula un jour sur sa joue, elle la dirigea vers son poignet et appuya fortement d'un geste sec avant de tirer vers la droite. Un liquide bordeaux gicla sur sa belle robe qu'elle n'avait pas pris la peine d'enlever depuis la soirée et sur sa joue. Puis elle s'allongea, pensant à son père, puis à sa mère, Esthel et sa propre mère. Et Adam. Surement le seul qui ne l'avait jamais compris sans vraiment le lui dire. Puis elle vut son visage apparaitre derrière sa vision qui commençait à devenir floue. Elle ne sait plus exactement ce qu'il s'est passé à ce moment-là, mais elle jurerait ne pas avoir vu dans le regard du jeune homme une seule ombre de panique ou de tristesse. Toujours cette petite flamme de courage, comme une bougie qui éclaire les moments sombres. Et un petit sourire rassurant. Voilà ce dont elle se souvient. Mais elle comprit que rien ne serait plus pareil. Mais qu'elle n'était pas morte, non ...

Et maintenant ;;

Elle se réveilla ensuite dans une petite grange. Elle savait qu'il faisait jour, et pourtant, la pièce était sombre, aucune trace du monde extérieur. Et tout semblait différent. Elle se redressa rapidement, se demandant si elle était dans un rêve. Puis reconnu Adam, allongé à ses côtés, qui la regardait de son air protecteur et amical. Sa poitrine se soulevait lentement et régulièrement. Il n'y avait aucun bruit. Elle regarda Adam quelques instants dans les yeux, essayant de comprendre. Rien n'était plus comme avant. Tout était différent. Oui, comme dans un rêve. Plus clair, peut-être. Même la pénombre la plus profonde semblait plus claire qu'auparavant. Elle n'était pas morte, mais semblait être quelqu'un d'autre. Elle passa sa langue sur ses lèvres, et sentit du sang. Il lui semblait que le sang qui sortait de ses veines n'avait pas attérit là. Adam dut comprendre sa surprise car elle vit dans ses yeux pour la première fois de sa vie, une lueur d'amusement. Elle passa la main sur ce sang séché, la main tremblant légèrement. Cette obscurité, ce sang, cette sensation étrange ...

"Adam ..."
Il la regardait encore, toujours avec cette petite lueur d'amusement. Et là, elle en eut marre. De ce caractère, de ce regard moqueur. Elle voulait comprendre. Juste comprendre! Elle se leva brusquement. Et commença à hurler.
"Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ??!!". C'en était trop. Tant pis pour les bonnes manières. Elle en avait marre. "Tu me dis jamais rien, je peux pas te décrypter comme tu le fais avec moi ! Parle moi un peu ! Dis-moi ce qu'il se passe ! Jdevais crever, moi ! Qu'est-ce que tu m'as fait!?..." Il ne changea rien immédiatement dans son comportement : il avait toujours ce regard rieur, ce petit sourire. Il se leva et se mit en face d'elle.
"Vous ne comprenez pas, Mademoiselle Williamson ? Votre mère ne vous a jamais lu ce genre d'histoire ?"
"Et j'avais pas fini : arrête de me vouvoyer!"

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